Avec l’Alsacien Robert Greubel, il a fondé une marque qui allie innovation et traditions ancestrales.
PAR DANIEL.DROZ@ARCINFO.CH PARU DANS https://www.arcinfo.ch LE 2.4.2019
Stephen Forsey a des allures de gentleman-farmer. Un look qu’il allie à un flegme tout naturel. Ses racines anglaises n’y sont pas étrangères. Arrivé dans les Montagnes neuchâteloises en 1992, l’horloger vit aux Brenets avec son épouse et ses deux enfants. Quand il n’est pas en voyage au titre d’ambassadeur de la marque qu’il a fondée avec l’Alsacien Robert Greubel, son compère de presque 30 ans, il travaille à La Chaux-de-Fonds.
«C’est vrai que c’est loin de Londres. Mais c’est aussi une chance. Cette région a énormément de choses à mettre en valeur, le patrimoine, une concentration unique de spécialistes dotés de compétences. C’est unique. Si nous sommes venus ici, et si nous sommes restés, ce n’est sûrement pas par hasard. Nous avons un magnifique canton avec une histoire unique, des valeurs et une vraie qualité de vie», glisse-t-il.
Quinze ans après une première rencontre à l’Ancien Manège de La Chaux-de-Fonds, nous retrouvons l’Anglais aux Eplatures, dans les murs qui abritent la marque Greubel Forsey depuis 2009. L’enthousiasme est intact, la voix est douce, la maîtrise de la langue française s’est améliorée.
“C’est vrai que c’est loin de Londres. C’est aussi une chance. Cette région a énormément de choses à mettre en valeur.”
Pérennisation et transmission
Nous devisons de l’horlogerie, de la formation. Avec d’autres horlogers (Philippe Dufour, Vianney Halter, Felix Baumgartner, David Bernard et, bien sûr, Robert Greubel, pour tous les citer), il a été à l’origine d’une fondation, Time Aeon, pour assurer la pérennisation et la transmission des savoir-faire ancestraux. Ceci lui tient à cœur.
Son parcours? A l’image d’une montre mécanique, à la précision sans faille et à l’esthétisme raffiné, l’assemblage de sa passion et des circonstances de la vie l’ont amené là où il est aujourd’hui.
«C’est la faute de mon père, passionné de mécanique, et de mon grand-père, qui était ingénieur dans l’automobile et l’aviation. Aussi à cause d’un jouet d’enfance, le Meccano. Créer des choses à parti du métal, j’ai trouvé ça fascinant», explique-t-il. Le côté artistique lui vient de sa mère, professeure d’art, précise-t-il.
“C’est la faute de mon père, passionné de mécanique, et de mon grand-père, qui était ingénieur dans l’automobile et l’aviation."
«J’aspirais à restaurer des pendules, à travailler dans un musée.» Au début des années 1980, ses parents le soutiennent, lui trouvent une école d’horlogerie, le Hackney Technical College de Londres. «Je suis allé la visiter. C’était dans un quartier assez pauvre. Il ne restait plus qu’un étage dans le bâtiment avec des ateliers et une salle de classe.»
Une question marquante
Les professeurs sont proches de la retraite. «Ils avaient beaucoup d’expérience, de savoir-faire des différentes techniques traditionnelles. J’ai découvert la montre mécanique. Toutes les facettes de l’horlogerie.»
Les enseignants s’étonnent devant le jeune élève Forsey. Alors que le quartz rebat entièrement la donne, «pourquoi faire de l’horlogerie mécanique? Il n’y a plus rien à inventer», disent-ils. «Cette phrase-là m’a profondément interpellé et m’est restée dans l’esprit. Pour l’être humain, c’est presque impossible de laisser les choses telles quelles. Il cherche toujours à comprendre, à faire mieux, à trouver de nouvelles inventions.»
Perfectionnement à Neuchâtel
Avant d’inventer, il faut se perfectionner. Fraîchement diplômé, Stephen Forsey est engagé en 1987 chez Asprey, à Londres, qui possède notamment un atelier de restauration horlogère. Cette vénérable maison ne sera pas pour rien dans sa découverte du pays de Neuchâtel. En 1988, elle envoie une première fois le jeune homme se perfectionner à Neuchâtel. Au Wostep, un centre reconnu, il améliore ses connaissances et sa pratique de l’horlogerie ancienne et à complications. Rebelote en 1990.
De retour à Londres, Stephen Forsey se sent alors prêt à franchir la Manche. En 1992, il postule chez le fabricant loclois de mouvements mécaniques à complications Renaud & Papi. Son bagage est plus étoffé que les rares horlogers qui sortent alors des écoles de l’Arc jurassien.
«Un certain M. Greubel m’a reçu en entretien. J’étais équipé de mon français de l’école, très basique.» Robert Greubel est fils d’un détaillant horloger. Il a suivi un cursus en France avant de rejoindre IWC à Schaffhouse puis Renaud & Papi. Entre les deux hommes, le courant passe.
De leurs propres ailes
Les idées fourmillent. En 1999, lassés de travailler avant tout sur des produits destinés à l’industrialisation et forts de leur expérience, ils décident de voler de leurs propres ailes.
La question revient alors: «Est-ce que tout a déjà été inventé dans l’horlogerie mécanique?» Pour eux, la réponse est non. «Ce qu’il manquait notamment, c’est le travail fait main, la décoration du mouvement.» La voie était toute tracée. Et atypique. «Nous avons développé une nouvelle génération de tourbillons.»
Depuis 2004, 25 calibres ont été développés. Aujourd’hui, la marque emploie une centaine de personnes et produit autant de pièces chaque année. Leur prix se chiffre en centaines de milliers de francs. Une valeur que le travail soigné apporté à ces pièces d’exception justifie. Une grande partie du bénéfice est investie dans la recherche et développement.
Entre Greubel et Forsey, les rôles sont distribués. Grosso modo, à Robert la création et la gestion, à Stephen la technique et le titre d’ambassadeur de la marque. «Nous nous voyons régulièrement. Nous avons une réelle complicité.»
Trop de créativité
L’avenir? «En 2004, nous avions déjà des idées pour une dizaine d’années. Et nous en avons presque pour une dizaine d’années encore. Il y a trop de créativité», rigole Stephen Forsey.
Amoureux des voitures anciennes et de la nature, il trouve encore, malgré son «obsession pour la mesure du temps», le loisir d’en passer avec sa famille. «Grâce à ma femme», précise-t-il. «Nous essayons de garder un équilibre.»
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